Dès le lendemain matin, je téléphonais au propriétaire lui faisant part de mon intérêt pour le bar. Je voulais en savoir le prix, il m’expliquait qu’il ne savait pas trop et qu’avant tout, il aimerait bien me rencontrer. Il semblait méfiant et sa première question fût :
— Vous êtes du quartier ?
Je lui expliquais alors, d’où je venais, qui j’étais et surtout mon passe-droit, Claude qui m’avait donné ses coordonnées.
Je senti un soulagement dans sa voix et rendez-vous fut pris à ses bureaux, cela tombait bien il habitait un village à côté du mien.
Il me reçut la semaine suivante, j’avais eu le temps de peaufiner mon projet et en avait discuté avec mes parents, ayant besoin de leur caution pour obtenir un prêt.
Comme à l’accoutumé, ils répondirent présent, ils ont toujours suivi leurs enfants avec amour et compréhension, les laissant libre de leurs choix, respectant l’individualité de chacun. J’avais la chance en plus d’avoir Jacqueline, la femme du frère de maman, qui était conseil juridique dans un grand cabinet Lyonnais. Cette dernière accepta bien volontiers de monter les statuts de ma future activité, non sans avoir émis quelques réticences.
— Je veux bien t’aider, à condition que tu renonce à ouvrir un pub, un restaurant sera plus facile à tenir. Tu es une vraie oie blanche, le milieu sévit encore à Lyon. Tu vas te faire bouffer et tu perdras tout, je ne veux pas prendre cette responsabilité !
Elle savait de quoi elle parlait, elle était née en centre-ville, avait suivi son évolution et oeuvrait depuis longtemps dans les affaires. Ma famille s’était rangée à son point de vue, je me pliais à leurs désidératas.
J’étais prête à tout accepter, je m’y voyais déjà !
Je trouvais un homme affable, très à l’écoute de mon projet. Il avait dû mener sa petite enquête sur ma famille et paraissait rassuré.
Seule l’association avec Isabelle d’origine étrangère le faisait un peu tiqué, il avait besoin de savoir à qui il avait à faire et demandait si possible d’avoir un extrait de casier judiciaire.
Ses anciens locataires étaient des voyous, avaient été expulsés par les forces de l’ordre ayant dû intervenir pour les déloger, barricadant la rue à coup de tir dans la vitrine et de bombes lacrymogènes.
— Vous comprenez, madame, que maintenant je prenne des précautions, je ne veux plus me retrouver dans une situation pareille !
Il n’y eu aucun souci, Isabelle comme moi était une vraie bleu et il nous céda le fond, pour une somme si modique, que personne ne voulait le croire.
Décidemment la chance était avec nous !
Il nous demanda une dizaine de jours avant une visite officielle, afin de faire effectuer un nettoyage, dit-il.
Travaillant à deux pas de là, on passait notre pause du midi et même certain soir chez Josiane.
Nous apprenions à connaitre les gens et l’endroit, en submersion totale dans l’ambiance du coin. Notre venue était plutôt bien appréciée, seul, un commerçant ou deux qui avaient tenté d’acquérir le local en vain, nous battaient froid.
Qu’ils aillent au diable, nous n’aurons pas besoin d’eux !
Les filles, telles des pies se rapprochaient, en oiseaux curieux, attirées par les objets brillants, elles jacassaient dans leur langage haut en couleur du sud de la France. Elles étaient marrantes, nous offraient des verres, ne tarissaient pas de bons sentiments à notre égard, les plus jeunes paraissaient un peu plus méfiantes
Je n’étais pas dupe et jouais le jeu, il fallait ménager les Reines du quartier tout en gardant la distance nécessaire pour ne pas être envahi. Elles se rendirent vite compte, qu’elles avaient à faire à deux personnalités bien différentes. Femmes intuitives et instinctives, elles nous parlaient à l’une et à l’autre de manière différente.
Franc du collier avec moi, sur l’avancée du projet, essayant de m’amadouer en me promettant de leur clientèle.
Charmeuse de serpent avec Isabelle, l’argent et la séduction féminine étaient le sujet de prédilection.
Isabelle minaudait, marquait sa différence de rang. Elle s’habillait classique, tailleur, petite coupe au carré se donnant l’importance d’une vraie commerçante. Malgré tout une lueur dans ses yeux trahissait sa curiosité à cette ambiance un peu glauque qui lui ouvrait des horizons inexplorés. Elle se faisait arroser à coup de coupettes de champagne, écoutant des heures durant les histoires de clients que les filles racontaient. C’était à qui mieux mieux, la surenchère de celle qui avait le micheton le plus généreux, une vraie concurrence entre elles, plus elles avaient d’habitués, plus leur côte étaient hautes.
Moi j’étais plus dans l’action, je prévoyais les travaux, évaluait la concurrence et posais des questions pour en savoir encore plus. J’avais des tenues plus loufoques, un chignon en bataille, une mèche sur mes yeux brillant d’exaltation, je n’étais pas dans la séduction. Ce qui m’intéressait, c’était de réussir et je savais très bien qu’avec les filles il ne fallait pas entrer en concurrence sur leurs terrains.
J’étais agacée de voir Isabelle se faire rincée à l’œil, sans jamais remettre son coup.
Je découvris qu’elle était radine et profiteuse et me disais que l’argent pourrait vite lui monter à la tête !
Moi, chaque fois qu’on m’offrait un verre je remettais le mien, me disant qu’ainsi je démontrais que je n’étais pas achetable et pas sensible à la poudre de Perlimpinpin.
Mon principe, ne rien devoir à personne, car tout se paye un jour ou l’autre !
Je luttais en permanence contre la mauvaise fille que mémé par une phrase avait immiscé en moi. A cette époque j’en en savais beaucoup plus sur cette femme et ne pouvais m’empêcher de l’avoir présente à l’esprit surtout dans ce contexte.
AH… OUI ! J’ai oublié de vous raconter la suite de la fameuse tante !
Le troisième et dernier coup de semonce s’était produit à la suite d’une altercation avec mes frères, cela arrivait souvent, papa et maman s’étaient mis en colère et avaient pris mon parti.
Fabien, mon frère aîné, s’était écrié :
— Vous donnez toujours raison à Bérénice. C’est votre chouchou ! Y en a marre !
Comme d’habitude, j’avais plaidé ma cause à coup d’arguments plus convaincants les uns que les autres
— Tu veux toujours avoir raison, t’es menteuse et mauvaise !
Le dernier mot lâché, avait fait jaillir de mes yeux un flot de larmes, sous le regard hébété de mes parents. Ils me savaient vindicative, étaient habitué à me voir tenir le morceau jusqu’à ce que j’obtienne réparation et là je m’étais effondrée. Le mot? mauvaise, avait fait écho en moi, j’avais implosé, sous la pression du silence que je m’étais imposé depuis longtemps. D’une voix chevrotante et suppliante, je leur dis :
— Il faut que je vous parle.
Ils envoyèrent les garçons dans leurs chambres, comprenant que j’avais vraiment besoin d’eux. J’expliquai donc, ce que j’avais appris deux ans auparavant chez mon amie Joëlle.
A la tête que fit papa, je compris immédiatement qu’il n’était pas à l’aise.
— Allez Charles, dis-lui la vérité, car un jour ou l’autre les enfants le sauront ce n’est pas un secret. Tu n’y es pour rien dans l’histoire de ta sœur.
Dis maman en lui passant la main sur l’épaule.
Il m’expliqua que sa soeur Marie avait été bannie de la famille parce qu’elle avait commis des fautes graves et impardonnables. Elle était l’ainée, ma grand-mère l’avait choyée, elle avait fait des études contrairement à ses frères qui à l’âge de douze ans travaillaient déjà aux champs. Elle était plutôt jolie mais avait une infirmité, elle était bossue. Intelligente et envieuse, elle jouait de cela pour obtenir tout ce qu’elle voulait. Elle avait tenu un sale rôle de corbeau pendant la guerre. Il parait qu’elle envoyait des nouvelles de leurs femmes aux soldats en leur expliquant qu’ils étaient cocus et autres vili-penderies. Elle s’était quand même mariée avec un gars bien, gentil, ils avaient tenu une épicerie dans un village du coin. Elle avait eu deux enfants qu’elle laissa tomber, ne menant pas la vie dont elle rêvait. Papa avait fait des économies pour s’installer et se marier, elle lui avait tout piqué avant de s’enfuir.
Quelques années plus tard, ils apprirent : Qu’elle était devenue putain à Lyon, certaines personnes du village l’avaient reconnue et bien sur la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre, jetant l’opprobre sur toute la famille.
Aux dernières nouvelles, qui étaient fraîches du printemps de cette année. Elle avait participé à l’occupation par les prostituées de l’église Saint Nizier, étant le bras droit de l’égérie ayant menée ce combat.
Renversée par ce récit, je m’écriais :
— Papa ce n’est pas possible, elle ne pouvait pas être que méchante, dis-moi la vérité! Et ses enfants que sont-ils devenus ?
Mon père m’avoua, qu’étant plus jeune et occupé par sa vie, ne pas avoir cherché à la comprendre. La psychologie n’était pas de mode, encore moins chez les paysans. On constatait les faits et agissait en conséquence. Il avait suivi tout simplement, la honte était sur la famille, seul la répudiation pouvait l’effacé. Pourtant, sa soeur malgré tout, il l’aimait bien, son regard était humide et fixait un point non déterminé. C’est la première fois que je le voyais aussi triste, plutôt gai luron d’’habitude faisant des blagues et riant aux éclats.
Maman essaya bien de m’expliquer :
— Tu sais Bérénice, il y a des personnes qui font du mal, on ne peut rien y changer. En ce qui concerne Marie, je l’ai très peu connue. Mais elle a fait beaucoup de dégâts et plus personne ne veut en parler. C’est trop douloureux !
Je venais d’avoir 15 ans, cette histoire me fit basculer immédiatement dans le monde des adultes !
J’avais un mal être lancinant, tel un poison injecté dans mes veines, ne supportant pas l’idée que cette tante puisse être aussi mauvaise. J’en voulais a tous, surtout à cause des enfants qui eux aussi avaient été laissé pour compte avec leur père. Me rapportant à mon histoire j’allais combattre ce mal insufflé jusque dans mon coeur, c’était insupportable. Mon idée de la famille éclata, je faisais tout pour me démarquer du clan, le secret était levé et plus jamais les choses ne seraient comme avant.
Je pris conscience de l’individualité de chacun et cherchais tout le temps ce qu’il y avait de bon en eux ne pouvant accepter une vérité divulguer sans savoir le pourquoi du comment. La complexité de l’humain m’intéressait plus que tout. Je me remplissais d’histoires vécues, puisais dans les livres de toutes sortes, un support m’apportant une compréhension des êtres. J’avais au fond de moi une petite voix qui me guidait lors dan mes période de doute, c’était mon amie, elle me permettait de prendre du recul sur toutes situations conflictuelles. Naturellement elle me mena comme tout adolescent à me poser des questions sur la réalité de l’âme, de ce qui nous entoure, le visible et l’invisible. J’avais un fort penchant pour ce dernier et les rencontres que je fis à cette époque et les années qui suivirent m’enrichir d’un savoir impalpable mais prégnant de ma personnalité.
Je ne sais pas si vous avez remarqué dans votre vie, lorsque vous êtes habité par une passion, un questionnement, quel que soit sa nature, le destin vous apporte sur un plateau des faits ou des relations en corrélation complète avec votre cheminement. Souvent ils éclairent par leurs croisement un temps votre route, puis, s’évanouissent comme par enchantement. Chaque personne rencontrée apporte un grain de sable ou une pierre taillée à notre édifice, le ciment étant la compréhension et l’amour que nous voulons bien y accorder
A 18 ans des amis me voyant batifoler avec les esprits, la voyance, l’ésotérisme …. Me dirent:
— Bérénice tu te perds, viens avec nous, on fait partie d’un mouvement de développement personnel, tu seras guidée et cela évitera que tu t’entoures de négatif.
A corps perdu je suis rentré en religion chez les Rose-Croix, je trouvais un équilibre dans les fascicules que je recevais régulièrement. Je m’appliquais à faire tous les exercices pour développer mon intuition, moi qui avais arrêté mes études à 16 ans, j’avais l’impression de m’instruire et de m’ouvrir au monde. Cela dura deux années jusqu’au jour où je décidais d’aller à une cérémonie en compagnie de mes amis, jusque-là j’avais évité.
AH NON ! Mon Dieu ! je fais partie d’une secte !
Une foule, de plus de cent personnes, était réunie devant une grande bâtisse, tout ce petit monde s’embrassait et se congratulait, je me sentais étrangère à ses sourires entendus. Les deux grands battants de la porte s’étaient ouverts sur une salle ressemblant à un temple, éclairé de torches et de bougies en multitude, une musique ressemblant à des chants grégoriens s’élevait dans les airs. Un rituel de pas pour se présenter devant un autel, toute la panoplie y était;
— Nous sommes tous frères, le microcosme du macrocosme, et blablabla……et blablabla
Un discours endoctrinant, des jeunes filles telles des vestales déambulaient parmi nous balançant du bout des doigts des encensoirs diffusant des parfums envoûtants d’encens. Je sortais de là, profondément déçue, moi qui détestais le formalisme, j’étais gâtée.
Je n’aurais pu rêver mieux en termes de cliché !
Du jour au lendemain je mis fin à ma formation spirituelle, consciente d’avoir obtenu des acquis pour ma personnalité. Je quittais comme j’y étais entré ces éclairées. Je ne comprends toujours pas comment des êtres intelligents voulant s’ouvrir au monde puissent accepter d’être prisonnier de rites et de sentences. En tous cas pour moi cela en était trop.
j’avais bouffé de la bonne sœur et du curé toute ma jeunesse, hors de question que je dépende de quoi que ce soit de cet ordre-là !
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